La mare, un patrimoine discret et menacé en Guadeloupe
An tan lontan...
Baptisée « Caloucaera » (Ile aux Belles Eaux) par les kalinas, la Guadeloupe semble consubstantiellement associée à l’or bleu.
En témoigne la richesse des zones humides, parfois d’intérêt international, dont elle est encore dotée ; en dépit des coups de boutoir d’une urbanisation « immaîtrisée ».
Au cœur de ce patrimoine hydrographique d’exception ; un écosystème s’avère de plus en plus abandonné et donc menacé : les mares.
Un réseau important
Dans la variété de milieux et réseaux aquatiques vascularisant l’archipel guadeloupéen, les mares revêtent un double intérêt patrimonial.
Naturel avant tout, de par leur fonction originelle de réceptacle des eaux des bassins versants ; cet intérêt s’élargit à des aspects écosystémiques évoqués par ailleurs.
Historique ensuite, voire mythologique tant nos us empruntent à l’oralité ; elles participent de ce savant enchevêtrement de pratiques (magico-religieux à la Mare Carlan aux Abymes) et d’évènements, parfois tragiques, (nuit du 24 Juin 1849 à la Mare au Punch à Marie Galante), formant le capital culturel guadeloupéen.
La tradition orale croisée aux écrits d’un C. SCHNAKENBOURG, asserte que moult mares auraient été creusées durant l’ère coloniale, pour les besoins de la machinerie (moulins notamment) liée à l’économie de plantation.
Marqueurs patrimoniaux en voie de raréfaction, on en retrouve encore aujourd’hui essentiellement en Grande Terre (Abymes, Petit Canal, Gosier et autres milieux karstiques des Grands Fonds).
Des lieux aux usages multiples
Les mares servaient autrefois tant au ravitaillement des animaux, qu’à l’usage domestique des individus, jusqu’aux travaux de « modernisation » entre 1946 (départementalisation) et les années 1970 (tertiarisation du modèle canne-sucre-rhum). Modernisation qui aura ainsi notablement impacté le rapport à la mare et favorisé, incidemment, leur comblement ou détournement d’usage. Cette mise à bas ou compensation (développement des citernes) de leur vocation domestique, aura ainsi dévitalisé leur fonction sociale.
Jusque dans les années 1960, les habitants des campagnes ne disposant pas d'eau courante, l’eau servait à désaltérer, cuisiner, arroser, abreuver le bétail et faire la lessive.
Les tableaux mélodiques d’un Robert LOYSON, fleurent encore du parfum des vêtements lavés et étendus dans « la savane », autour de cette fameuse mare, non loin de laquelle, les arbres alentours offraient un confort ombragé favorisant la détente.
Un intérêt écologique majeur !
Maillon constitutif des différentes zones humides du territoire, la mare est une étendue d’eau douce de petite taille (maximum 5 000 m2) dont le renouvellement en eau est généralement limité.
Contrairement à l’étang, connecté à un cours d’eau, la mare est essentiellement alimentée par les eaux pluviales ou les nappes phréatiques, ce qui les rend sensibles aux conditions climatiques. Généralement situées en contrebas de mornes dont elles recueillent les eaux de ruissellement ; leur profondeur (généralement faible, soit moins de 2 mètres) et leur nombre nous renseigne sur la topologie (actuelle et passée) mais aussi la géologie des sites (notamment la teneur en argile).
Dotées d’une végétation aquatique importante et diversifiée, parfois à sec durant le Carême, les mares participent de la beauté plurielle des paysages de nos territoires.
« Naturelles » ou « artificielles », « permanentes » ou « temporaires », l’on dénombre en Guadeloupe pas moins de 2 722 mares (DIREN-2001), dont 2 500 entre la Grande Terre et Marie-Galante.
Système dynamique à fort potentiel biologique, (B. Sajaloli & C. Duteilleul, 2001), la mare cumule des fonctions écologiques parfois insoupçonnées :
- Prévention des inondations,
- Stockage de sédiments et de nutriments,
- Réserve d’eau,
- Habitat et reproduction de la flore et de la faune,
- Régulation du climat et de la qualité de l’air,
- Épuration des eaux usées,
D’abord plan d’eau libre de petite taille (stade « jeunesse »), elle atteint, à sa maturité, taille et profondeur maximales, via l’apport graduel d’alluvions, d’eaux de ruissellement et de végétaux morts.
La partie centrale de la mare est alors exhaussée (stade « début de comblement ») jusqu’au comblement quasi-total. (JEREMY et al.)
La biocénose qu’elle héberge, très spécifique et variable, s’organise en ceintures concentriques selon la profondeur de l’eau. Cet écosystème peut ainsi s’exposer à la colonisation d’espèces exotiques envahissantes, d’où l’importance fondamentale de les entretenir et de les protéger.
Les mares sont en effet des milieux exposés à de fortes pressions, notamment anthropiques, conduisant à leur comblement au bénéfice, au mieux, d’un boisement humide, au pire d’un dépôt d’encombrants.
Si le comblement peut effectivement être d’origine naturelle, la pression majeure est souvent d’origine foncière qu’il s’agisse de projets de construction, (s’affranchissant parfois d’étude préalable), de projets agricoles (induisant la pollution organique et chimique engendrée par les animaux et les cultures), de certaines activités industrielles, commerciales (distillerie, route, chantiers).
L’intérêt patrimonial et paysager des mares ainsi mis en évidence ; leur protection « active » n’aura de sens qu’à travers une approche transversale de l’aménagement.
Schéma : Le comblement, un phénomène naturel (HATCHY-DORVILLIUS F.)
La mare, une approche transversale du territoire
Un intérêt pour les collectivités
La réappropriation des mares et son impact sur le paysage, le capital et l’attractivité du territoire, constitue un intérêt pour les communes et leurs groupements.
Le PLU à travers son PADD préconise la préservation des écosystèmes naturels face à l’inéluctable progression de l’urbanisation.
Un intérêt pour les particuliers
Même en zone urbaine péricentrale la mare peut servir de cadre d’aménagement pour une opération d’aménagement (lotissement, ZAC) tout en constituant une aire de détente comme autrefois.
Favoriser les mares urbaines
En ville, bien aménagées et entretenues, les mares favorisent la biodiversité. Souvent isolées, artificialisées, dotées d'un fond bétonné, les rendant moins propices au développement naturel d’un biotope diversifié. Elles n’en représentent pas moins, parfois, l’unique espace-refuge pour certaines espèces. D’où l’idée de les préserver en les insérant dans une trame verte et bleue.
Par ailleurs, aménager des mares urbaines permettrait :
- le retour de la nature en ville
- le développement de la biodiversité
- la mise en œuvre d’une trame noire
- le développement d’actions d’animations diverses (points Wifi par exemple)
Mieux protéger les mares dans les documents d’urbanisme (PLU, SCOT)
- Proposer un inventaire des mares dans les PLU et de leur vécu socio culturel
- Affecter un zonage spécifique à ces milieux : Nm
- Favoriser des circuits de découverte numérique de ces espaces via un plan de valorisation global (cf. art L 151 -41 et suivant du CU)
Les Eco-quartiers, outil de valorisation des mares ?
À l’instar des autres zones humides, les projets urbains durables et singulièrement les Eco quartiers, peuvent constituer un outil à la fois de protection et de valorisation des mares.
En effet, de par l’approche même de ces projets, le traitement transversal des enjeux liés au projet urbain considéré, favorise un traitement des enjeux croisés de la préservation de ces milieux, qu’il s’agisse de leurs fonctions écologiques que de leurs intérêts socio-anthropologique. Par ailleurs, la dimension « animation » favorise l’observation et le suivi continu de cette préservation.
À cet effet, les services de l’État, à travers notamment le CEREMA ont produit des travaux et dispositifs ad hoc. Puisse cette boîte à outils, trouver dans l’avancée d’un certain nombre d’AUD, notamment du côté de Morne à l’Eau et du Nord Grande Terre, matière à une mise en place efficace … et durable.
Photo : Mare de Vermont – Petit-Canal - Guadeloupe - 2019 (Crédit : GRAVA A.)
Focus réglementation
Dans les PLU, POS
Les mares peuvent figurer comme secteurs à protéger ou à mettre en valeur pour des raisons écologiques. Toute occupation ou utilisation des sols qui s’opposerait à leur préservation est ainsi interdite, sans déclaration préalable de travaux au maire. (Article R421 19 et 23 du code de l’Urbanisme).
En l’absence de document d’urbanisme,
La commune peut aussi préserver les espaces naturels (haies, mares, etc.) via la Loi Urbanisme Habitat du 2 juillet 2003.
Tous les travaux sur ces éléments sont alors soumis à une déclaration préalable de travaux adressée au maire. (Article R421 19 et 23 du code de l’Urbanisme).
Autres textes règlementaires
- Art L.221 3-29 du CGCT.
Le maire, responsable de la salubrité publique dans sa commune, assure la surveillance des points d’eau. En cas de problème sanitaire lié aux mares, il prescrit aux propriétaires d’exécuter les travaux ou prendre les mesures nécessaires mais n’a pas le pouvoir d’ordonner leur suppression (Loi Biodiversité n°2016-1087 : Art 158)
- Loi n° 92-3 du 3 janvier 1992, ou loi sur l’eau
- Loi n°2006-1772 du 30 décembre 2006, ou loi sur l’eau et les milieux aquatiques.
Construire et entretenir une mare
La mare est un milieu dynamique qui se crée et se comble naturellement.
L’entretien ou la création d’une mare permet de maintenir les fonctions qu’elle assure et de favoriser les espèces qui y vivent ; mais avant de réaliser les travaux, il est indispensable de définir les objectifs et les priorités d’un tel projet à l’échelle du quartier, voire du territoire, à savoir :
- Demande d’informations à la mairie pour vérifier la compatibilité du projet avec les documents d’urbanisme, SDAGE, GEMAPI, les différents classements de site (Parc national, site inscrit, etc…)
- Déclaration ou demander d’autorisation auprès de la police de l’eau et la mairie
- Prise en compte de la sécurité, l’emplacement, la taille, la forme, la profondeur de la mare
Lorsque la phase travaux est lancée pensez à intervenir à bonne période (…)
Attention : Pas de capture d’animaux à ces fins ! Il y a obligation de disposer d’autorisation de captures délivrées par la préfecture. Les espèces coloniseront naturellement le biotope.
Contes & Légendes
Ayant donné lieu à de très nombreuses légendes parfois liées à des tragédies, l’on pourrait presque affirmer, à l’unisson d’une Joséphine LADINE (Présidente « J’ose la Nature »), que « chaque mare a son histoire ». Deux mares peuvent illustrer l’importance sociétale et patrimoniale pour la Guadeloupe de ce milieu en péril :
- Mare au Punch à Marie Galante (du nom de la mare dans laquelle d’ex-esclaves déversèrent des tonneaux de rhum lors d’une révolte, en 1849)
- Mare GrandMaison à Sainte Anne (où une maison de maître aurait disparu brusquement à midi pour donner naissance à une mare…)
Le saviez-vous ?
- La Journée mondiale des Zones humides (JMZH) se déroule du 30 janvier au 28 février 2021, le thème « Zones humide et Eau ». Cliquez pour plus d’informations.
- Le Calend’Art est de retour pour sa 4ème édition avec un grand concours de dessins sur les zones humides. Cliquez pour plus d’informations.
- La Fête des Mares se déroule du 29 mai au 06 juin 2021. Cliquez pour plus d’informations.
- Visitez virtuellement les mares de la Guadeloupe et de la Martinique avec L’UICN. Cliquez pour plus d’informations.
Merci à nos partenaires pour leurs contributions : L’Office de l’Eau, le Conseil Départemental, KARUGEO, la CANGT.
Les contributeurs : FARAUX A. - GRAVA A. - HATCHY-DORVILLIUS F. - JOSEPH S. - PAUL J.